La grammaire au secours du graphisme

Je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais il m’est souvent pénible de devoir expliquer que le résultat de notre travail n’est pas le fruit du hasard, que les acteurs graphiques que nous utilisons sont réfléchis (parfois), interagissent (toujours) entre eux et obéissent à des règles.
Pas toujours folichon d’avoir quelqu’un qui nous demande de changer telle couleur, ou telle typo, alors qu’on a passé 4 bonnes heures uniquement à travailler sur le rapport des masses, les valeurs et la cohérence typographique.
Bref, le seul truc un peu malin que j’ai trouvé pour faire œuvre de pédagogie sur notre travail, c’est l’analogie avec la grammaire.
Le graphisme possède une grammaire aussi complexe et riche que la langue française, et, comme pour elle, le sens sera différent suivant la composition des éléments graphiques.

Si je prends cette phrase :
« Je traverse le couloir, ouvre la porte et rentre dans la cuisine »
Transposée en couverture de bouquin, cela donnerait quelque chose de très simple, avec juste deux couleurs (la couleur d’accompagnement correspondant à la ponctuation). Pas plus d’une typo utilisée et plutôt classique, comme l’Helvetica ou la Bodoni.



Maintenant, la même phrase au passé simple :
« Je traversai le couloir, ouvris la porte et rentrai dans la cuisine »
Là aussi, la couverture est très simple, mais les typographies peuvent être plus nombreuses et, comme on utilise le temps de narration, on peut imaginer une photo illustrant le sujet. On retrouve l’univers des collections : peut d’éléments mais très rapidement identifiables.



La même avec adverbes et adjectifs :
« Je traversai rapidement le couloir interminable et rentrai, exténué, dans la cuisine »
Tout a changé, la ponctuation s’est déplacée et l’action s’est enrichie. La plupart des couvertures sont construites sur ce schéma. Jeux typographiques importants, plusieurs couleurs etc. La narration est plus complexe et l'important c'est aussi de séduire.



Personnellement, ma phrase préférée c’est :
« Je traversai le couloir, ouvris la porte et… »
Le mec, il est juste allé se chercher une compote dans le frigo, mais on permet à l’imagination du lecteur de terminer la phrase.
Transposée en couverture, cette interaction est difficile à réaliser. Raconter le maximum de choses avec le minimum d’effets et créer une connivence avec le lecteur/spectateur… quand on y arrive, quel bonheur !



Imaginez maintenant la couverture que donnerait la même phrase bourrée de fautes de temps et d’orthographes :
« Je traverse le couloir, ouvra la porte et rentrerait dans la cuisine »
On la voit bien, la typographie rouge sur fond vert, étroitisée à 160%, non ?



On peut aussi imaginer ce que « Je traversai en courant sur mes deux pieds bien chaussés le couloir noir, sombre, austère et interminable pour enfin rentrer, exténué, fatigué et au bord de l’asphyxie dans la grande pièce d’un blanc immaculé, repeinte il y a peu par mon beau-frère qui est peintre en bâtiment (il nous fait des ristournes tout à fait appréciables, en plus on a la TVA à 5,5%), qui nous sert de cuisine » pourrait donner (désolé, pas le courage de maquetter un truc pareil)
C'est clair, la multiplication des signes n'aide pas à la lecture !

En général, la comparaison grammaire/composition graphique fonctionne, la langue étant une des choses les plus partagée dans un pays :-)
Cette méthode est à proscrire si vous travaillez avec des étrangers ou si votre interlocuteur a moins de 7 ans :-)

Commentaires

  1. Anonyme12:33

    C'est excellent comme analogie. C'est le meilleur post que j'ai lu depuis longtemps...

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  2. Ouhla, j'vais rougir, moi !
    Merci :-)

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